LA FLAMME DE L'ART

ELISABETH MARTIN

" Le visage n'est visage que dans le face à face. " Jacques Derrida

Avant que d’être artiste, c’est enfant déjà, que Johan Van Mullem, crayon en main, dessinait des visages. Aux trois-quarts méconnaissables, ils n’en véhiculent pas moins une charge émotionnelle intense. Difficile parfois d’en discerner clairement la morphologie ou tout simplement le regard qui, pourtant, est toujours présent. Inachevées ou évanescentes, ses œuvres donnent à son travail un sentiment de perception partielle de la réalité, d’évolution possible, la même évolution qui guide notre vie en devenir. Pas d'histoire dans ces tableaux. Le plus souvent l'artiste fait le choix d’une toile de fond vierge comme arrière-plan. Poignants, prégnants, les personnages ne sont jamais en situation, les fonds totalement neutres On se concentre uniquement sur l'homme, le portrait souligne ses états d'âmes, sa dignité, la valeur d’une émotion ou d’un ressenti intense. Autour, l’absence, le silence. Enfermés dans leur isolement, ces personnages s’adressent aux tripes et libèrent les émotions. Certaines suscitent des réactions avec beaucoup plus de force telle ce cri qui génère quelque chose de douloureux, de révoltant. Par la voie de l’irrationnel, ces visages énigmatiques, saisissants, amènent le spectateur vers la force des sensations. Le visage est une forme mais il n'est pas n'importe quelle forme. L’homme face à sa propre solitude, une recherche d’identité ou bien des portraits psychiques? Notre existence est toujours voilée d’écrans. Qu’est-ce qui muselle notre vie, nos pensées? L'image de soi, l'image de l'autre questionnent les labyrinthes de la psyché humaine.

Y a-t-il un sujet plus passionnant que le visage ? Entre ses premiers dessins, œuvres en noir et blanc, ses esquisses bleues et ses sculptures récentes, l'artiste vit les variations de ce seul et presque unique thème, la face humaine. Les visages se font écho. Eloquents, ils sondent l'âme et déploient toute une gamme de résonances. Le corps fait quelques apparitions, mais il reste accessoire dans sa création. L'histoire du portrait occidental s'est débattue entre ressemblance et idéalisation. Féconde, cette tension a rendu possible toutes les évolutions et les révolutions. Dans ses peintures les plus récentes, Johan Van Mullem dépasse le simple portrait. Il travaille aux limites de la représentation, affine sa liberté de pensée. Ces derniers travaux proposent une lecture plus apaisée. Défigurations et turbulences ont disparu. La forme du visage ne fait qu'affleurer. Elle devient simple présence et intériorité. Il est peut-être possible maintenant de se poser la question de l'individu, de l'être et de son essence…de parler de spiritualité.

Peintre, dessinateur, graveur, sculpteur, Johan Van Mullem touche à tout. Toutes les techniques sont au rendez-vous dans cette force qui irrigue son travail. L’élan qui l’anime insuffle à ses œuvres énergie et détermination. On y devine un travail soutenu et constant jusqu'à atteindre la juste image.

Bien plus tard, Johan, architecte de formation, enclenche une vitesse supérieure. Il décide de se consacrer tout entier à son art et d’en faire son métier afin de lui conférer l’amplitude et la liberté dont il a besoin. L’artiste prend son histoire et ses émotions en main, leur donne vie au gré de ses portraits…..Et retrouve son vrai visage en somme. Il renoue avec son feu intérieur, lui redonne la parole, en l’accueillant dans ce qu’il exprime.

Sous sa patte le geste devient forme. L’esprit et l’instinct se fondent dans une heureuse concordance. Après le dessin et la peinture il s’investit dans la sculpture, extrêmement instinctive et accidentelle.   Et creuse une nouvelle veine graphique.

Précision et rigueur du fusain ou de l’encre de chine, coups de pinceau et effacement du chiffon, glaise pétrie à pleines mains. Du rythme, de l’énergie et du talent. Un élan puissant, une belle vigueur qui poussent l’artiste à évoluer et à créer constamment. De l’art tout simplement.